terça-feira, 1 de março de 2022

Guerre en Ukraine : pourquoi les menaces nucléaires de Poutine ne sont pas à prendre à la légère

Russian ICBM missile launchers move during a military parade in 2016. Russia has the largest stockpile of nuclear warheads in the world. 


Dimanche soir, la présidence russe a franchi un cap stratégique : elle a annoncé qu’elle plaçait ses forces nucléaires en alerte. Les opinions européennes sont soit pétrifiées soit incrédules face à cette menace atomique. Assiste-t-on à un gigantesque coup de bluff ou à un changement majeur de l’approche russe, susceptible d’aboutir à cette perspective qui a longtemps paru inenvisageable qu’est l’emploi de l’arme nucléaire sur le sol européen ? Ce qui est certain, c’est que cette escalade reflète deux tendances profondes de la vision militaire de Moscou : d’une part, la Russie rappelle au monde son statut de puissance nucléaire au moment où de multiples mesures – y compris militaires – sont prises par les Occidentaux pour soutenir l’Ukraine ; d’autre part, elle fait ainsi le constat des limites de sa puissance politique.

Incapable de se faire écouter des Occidentaux et impuissant à convaincre les Ukrainiens de se détourner de leur gouvernement et de se rallier au « grand frère » russe, le Kremlin se porte aux extrêmes en menaçant le continent du feu nucléaire. Loin d’être un signe de puissance, cette menace réitérée est l’aveu d’un échec politique irrémédiable – et cela, même si la Russie finit par obtenir une victoire militaire sur le terrain ukrainien en n’employant que les forces conventionnelles.

Menace implicite et incapacité politique
Lorsque, dimanche 27 février au soir, après quatre jours de combats en Ukraine, la présidence russe a explicitement annoncé la mise en alerte de ses unités nucléaires, elle a surpris l’Europe et inquiété le monde. Elle avait pourtant déjà proféré cette menace, de façon à peine voilée, dès le début de l’« opération militaire spéciale », jeudi matin à l’aube, à la fin du message présidentiel qui tentait de justifier la guerre en invoquant le risque de « génocide » des russophones en Ukraine et le besoin (supposé) de « dénazifier » le pays. En effet, la déclaration de guerre comportait, dans sa dernière phrase, une menace implicitement nucléaire contre les États qui tenteraient de s’opposer à l’intervention militaire russe. Vladimir Poutine l’avait formulée ainsi : quiconque s’opposerait à l’action russe en subirait des conséquences « inconnues dans votre histoire ».

Rares furent les lecteurs de ce texte qui, comme Josep Borrell dès le lendemain, avaient relevé le maximalisme de cette déclaration. Lorsque j’avais le matin même partagé cette analyse , je m’étais heurté à une incrédulité éloquente. Pour quiconque est familier de la prose poutinienne et des doctrines nucléaires russes, la réalité de la menace était pourtant évidente.

Cette situation illustre l’incapacité politique de la présidence russe à se faire entendre en dehors de son propre système. Depuis plus de vingt ans maintenant, les autorités de Moscou ne parviennent pas à faire réellement porter leur voix dans les enceintes internationales. Chaque année ou presque, elles publient leur doctrine de défense nationale en rappelant que Moscou considère l’OTAN et l’Union européenne comme des rivaux stratégiques, qu’elle perçoit leurs élargissements respectifs comme des menaces… et que la puissance nucléaire russe n’obéit pas nécessairement à une posture de « dissuasion à la française », du faible au fort.


On peut blâmer l’aveuglement et la surdité des Occidentaux, comme le fait régulièrement Hubert Védrine quand il analyse les relations avec la Russie. Mais il faut en revenir à l’essentiel : la force militaire russe, en reconstruction rapide depuis la guerre en Géorgie de 2008, ne se double pas d’une puissance politique capable de se faire entendre au-delà des cercles nationaux et de certains mouvements nationalistes à l’étranger.

Agiter la menace nucléaire au début de l’opération en Ukraine pouvait passer pour un signe de force : ce message était conçu pour tétaniser le soutien européen à Kiev. Mais une fois encore, la Russie ne s’est pas fait entendre… sa brutalité militaire se double d’une profonde faiblesse politique. En matière nucléaire, la capacité à communiquer sur ses moyens et sur ses doctrines est pourtant essentielle pour assurer une posture stratégique efficace.

Menace explicite et frustration stratégique
Dimanche soir, la Russie a franchi un jalon décisif dans la gradation rhétorique qui régit la posture stratégique des puissances nucléaires : en annonçant qu’elle mettait en alerte ses unités nucléaires, elle a en effet explicité la menace de jeudi 24 au matin qui, selon elle, était suffisamment terrifiante dans sa formulation implicite. Mettre en alerte les unités de l’armée russe qui opèrent les armes militaires, c’est, pour la présidence russe, passer un cran dans l’échelle nucléaire : les têtes et les vecteurs seront activés, les pas de tir préparés ou déployés s’ils sont mobiles, etc. De même, des cibles potentielles seront identifiées sur les théâtres ukrainiens : stocks de l’armée ukrainienne, infrastructures vitales, etc.

Aujourd’hui, l’opération militaire en Ukraine expose la Russie à plusieurs retours de balancier. C’est ce qui la pousse à la surenchère. Sur le terrain militaire conventionnel, les forces armées russes n’ont pas su remporter la victoire décisive attendue dans la guerre éclair en prenant Kiev en quelques jours. Sur tous les autres terrains – diplomatique, financier, sportif, médiatique ou encore économique –, la Russie est l’objet de sanctions massives de la part des Occidentaux. Elle se trouve aujourd’hui dans une situation critique car elle encourt déjà tous les inconvénients de son intervention en Ukraine sans en engranger le principal bénéfice attendu : le contrôle de ce pays.


C’est sans doute la raison de la surenchère nucléaire du Kremlin : forcé de remporter une victoire militaire qui tarde, le pouvoir russe s’est lui-même placé dans l’alternative entre vaincre ou se soumettre. Comme la Russie se retrouve désormais au ban de la communauté internationale, elle abordera toute négociation politique en position de faiblesse. Dès lors, la combinaison de l’hypertrophie de sa puissance militaire et de la frustration que suscite chez elle son impuissance politique l’engage dans une course nucléaire particulièrement dangereuse.

Après le retour de la guerre, le retour du nucléaire ?
Le risque nucléaire en Europe est aujourd’hui élevé. Loin d’être une rodomontade ou un bluff, les messages répétés de la présidence russe sur le nucléaire constituent une menace à prendre au sérieux. La doctrine russe sur le nucléaire est en effet bien différente de l’approche française. Pour les pouvoirs publics français, l’arme nucléaire est essentiellement dissuasive : la possession de l’arme ultime doit empêcher un agresseur, même nucléaire, d’envisager une attaque sur la France car il s’exposerait à une réplique nucléaire. De même, pour la France, l’usage de l’arme nucléaire est exclusivement défensif : elle ne peut être engagée que si l’existence même de la nation est en péril.

Pour les autorités russes, en revanche, la latitude de l’usage de l’arme nucléaire est plus étendue. En effet, elles laissent depuis longtemps planer plusieurs doutes : d’une part, l’arme nucléaire pourrait être utilisée non pas pour frapper massivement des villes comme à Hiroshima et à Nagasaki, mais pour cibler des moyens militaires essentiels de l’ennemi. En d’autres termes, la Russie n’exclut pas l’usage tactique de l’arme nucléaire sur les théâtres d’opérations. En outre, elle ne rejette pas non plus par principe l’emploi de l’arme nucléaire dans le cadre d’une offensive destinée à mettre fin plus rapidement à un conflit. La menace atomique russe est d’autant plus crédible que depuis plusieurs années, Moscou a largement communiqué sur la modernisation de son arsenal nucléaire.

De l’intimidation à l’action
Les autorités russes sont aujourd’hui prises dans une spirale maximaliste. Elles jouent en effet leur crédibilité dans cette guerre. Remporter la victoire est devenu pour elles un enjeu vital. Or elles semblent aujourd’hui incapables de prendre Kiev rapidement, d’attirer à elles une large partie de la population ukrainienne et de se faire entendre des Occidentaux. La menace nucléaire doit en conséquence être prise réellement au sérieux aujourd’hui.

Cela ne signifie pas que les Européens doivent être paralysés et doivent cesser de prendre les mesures et sanctions nécessaires concernant la crise ukrainienne. En revanche, ils doivent également rappeler avec la plus grande fermeté à la Russie leur propre posture nucléaire et la mettre en garde contre tout usage tactique de cette arme.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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