Le tarissement des finances publiques traduit-il la fin de l’urbanisme ou alorsson renouveau ? La crise économique implique t-elle un bouleversement dans la pratique de l’aménagement urbain ? Et si, finalement, les crises successives – écologique, financière et économique - que nous connaissons actuellement permettaient un changement de paradigme salvateur dans le domaine de l’urbanisme ?
Ces interrogations peuvent sembler impertinentes et provocatrices. Pourtant, l’époque où l’argent coulait à flot dans les collectivités territoriales n’a pas permis aux villes de faire société. Ces soixante dernières années, les urbanistes ont couru après la ville et ont, de ce fait, échoué dans leur mission première : faire de l’espace urbain un endroit où il fait bon vivre, un lieu multifonctionnel où l’on peut habiter, travailler, s’amuser, flâner, acheter, étudier et se rencontrer. De ce point de vue là, c’est un échec. L’hexagone a connu plusieurs vagues de périurbanisation, traduisant un mal-être lié à la ville.
LA CONSTRUCTION DE LA NON-VILLE
Depuis 1950, c’est plutôt la non-ville qui s’est développée en France et dans la plupart des pays occidentaux. Les Trente Glorieuses, époque idéalisée par la plupart des économistes, est une période noire pour l’aménagement urbain. L’équipement des ménages (réfrigérateur, congélateur, télévision) associé à la motorisation de ces derniers a permis l’âge d’or de l’urbanisme monofonctionnel, apparu avec la France industrielle et « qui a conduit à découper les villes en zones […] spécialisées : les zones où l’on vit, celles où on consomme, celles où on se distrait ».[1]L’approche fonctionnaliste, érigée en modèle par le congrès international d’architecture moderne (CIAM) d’Athènes en 1933, connut son apogée – dans les faits – entre 1950 et 1980. Les villes centres se dédensifient au profit des zones pavillonnaires, les centres commerciaux évincent petit à petit les commerces traditionnels, les voiries principales deviennent parfois des autoroutes urbaines et les grands pôles universitaires se construisent en périphérie des agglomérations.
La période 1980-2010 marque une relative prise de conscience des acteurs de l’aménagement et de l’architecture vis à vis de l’urbanisme monofonctionnel. Une partie des décideurs locaux prend conscience de la non durabilité de ce système qui vise à séparer toutes les fonctions de la vie urbaine par zones. L’étalement urbain a un tel coût économique (allongement des distances, nécessité de prolonger les réseaux existants) que l’on commence à envisager de reconstruire la ville sur elle-même. Néanmoins, cette prise de conscience est partielle et l’émiettement du territoire se poursuit. Pire, dans certains pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne, les décennies 1990-2010 sont celles des aménagements inutilement fastueux. Les villes de Valence, d’Alicante ou de Benidorm mettent en place des projets pharaoniques qui deviennent peu à peu des gouffres financiers quand le royaume d’Espagne sombre dans la crise financière.
VERS UN CHANGEMENT DE PARADIGME ?
Et si le marasme économique ajouté à la crise écologique constituait un salut pour les politiques urbaines ? La ville a échappé aux mains des urbanistes pendant plus d’un demi-siècle. Le constat est dur mais, pour reprendre l’expression de Jacques Donzelot, « la ville ne fait plus société » aujourd’hui. La succession des crises pourrait pourtant marquer la renaissance de l’urbanisme si demain l’étalement urbain cédait la place à la ville frugale ; si demain les logiques financières marquaient le pas face aux logiques urbaines et sociales ; si demain l’aménagement dispendieux laissait la place à unaménagement sobre mais efficace. L’amenuisement de l’investissement public est un formidable défi pour les urbanistes : comment faire mieux avec de moins en moins d’argent ?
Plus qu’un changement de paradigme, l’heure est au questionnement sur la pratique de l’urbanisme. Doit-on persévérer dans un urbanisme monofonctionnel, privilégiant le mitage du territoire, l’entre-soi et les grandes opérations urbaines ? Ou doit-on tendre vers un urbanisme favorisant la mixité fonctionnelle, la reconstruction de la ville sur elle-même et le mélange des populations ? Cette seconde tendance, bien que souhaitable, peut paraitre utopique. Certes, ce type d’urbanisme est plus complexe car il demande davantage de temps, d’écoute et d’ouverture. Mais n’est-ce pas le rôle de l’urbaniste, de panser les plaies urbaines et d’être « le généraliste des territoires »[2] ?
[1] HAZAN Adeline, maire de Reims et présidente de Reims Métropole, 2010, « Reims 2020, le choix des proximités », p5.
[2] MEYRIGNAC Julien, 2007, Hypermanifeste, éditions Aire publique, 96p.
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