Le 25 juillet 2004, plus de 1.000 personnes rassemblées à l’appel des faucheurs volontaires « neutralisaient » (terme employé par la direction départementale de l’agriculture, pour la destruction des plantes interdites comme le haschisch ou le pavot) deux essais de maïs transgéniques situés dans la commune de Menville. Les élus furent placés en première ligne. Parmi eux, vont passer en procès Gérard Onesta, député européen, Noël Mamère, député de Gironde, Michel Daverat, conseiller régional d’Aquitaine, et bien d’autres encore. José Bové et moi-même participions à cette action de désobéissance civique non-violente à visage découvert. Les forces de l’ordre en petit nombre ne s’opposèrent pas à l’arrachage. Les faucheurs se laissèrent photographier par les policiers qui relevèrent aussi l’identité des voitures. Aucune atteinte aux personnes. L’atteinte aux biens privés fut limitée aux plantes transgéniques concernées. Peu de chose par rapport à l’atteinte irréversible du patrimoine végétal commun. Enfin, tous les acteurs étaient prêts à se présenter devant les tribunaux, à courir les risques des amendes élevées, de la prison et des dédommagements civils provoqués par cet acte illégal, mais non illégitime. Et cela d’une façon solidaire.
Pour l’histoire, il est important de rappeler que les fauchages de plantes transgéniques en France ont commencé en 1997. En 2003, les paysans de la Confédération paysanne s’essoufflaient dans ces actions avec tous les risques que cela comportait. En juin 2003, quand José Bové sortit de la prison de Maguelone près de Montpellier, je lui dis : « Et si nous nous y mettions tous ? » Il était en effet inacceptable de laisser les paysans supporter seuls le poids de l’action. Même si ces derniers sont plus directement concernés, l’environnement et la santé publique nous préoccupent tous.
Revenons à nos faucheurs. S’ils ont transformé leur indignation en action non-violente, c’est pour les raisons suivantes : absence d’application du principe de précaution dans les cultures en plein champ, absence de vérification à long terme des conséquences de ces chimères végétales sur les plantes, les animaux et l’homme, inacceptable appropriation du vivant à des fins mercantiles par l’intermédiaire des brevets. Absence de débat démocratique enfin. Il a fallu attendre l’action des faucheurs volontaires pour que Jacques Chirac y fasse allusion dans le Puy-de-Dôme à l’automne 2004. Tout au long de cette même année, les fauchages ont continué. Par la non-violence, nous avons fait apparaître cette violence cachée qui s’impose de façon obscure pour que le fait accompli crée une situation de non-retour. En général l’action non-violente est suivie d’une aggravation de la répression dans le but de créer par la peur une démobilisation. Ainsi, rapidement, comme l’avait annoncé le ministre Dominique Perben, la justice convoqua en gendarmerie ceux qu’elle tenait pour responsables ou ceux à qui elle voulait faire payer le prix de ces actions. Or, les faucheurs volontaires signent un engagement personnel, adhèrent à une charte et s’organisent en collectifs. Cela signifie qu’il n’y a pas de responsables reconnus par le groupe. Chacun a pris une décision en conscience et en connaissance des conséquences civiles et pénales de son acte, conduit dans le cadre d’une résistance civique non-violente collective. Les actions sont menées solidairement et tous se sentent responsables. C’est ainsi que le premier collectif est né lors du rassemblement du Larzac « Construire un monde solidaire » en 2003. 400 personnes prirent l’engagement de « faucheur volontaire ». Ils sont aujourd’hui 5 000. Cette solidarité n’est pas un vain mot. En effet, lorsque le procureur de Toulouse a choisi 9 prévenus, celui de Riom 6, celui d’Orléans 44 à la suite des fauchages de l’été 2004, la réaction des faucheurs fut rapide. Plus de 400 personnes se présenteront aux gendarmeries de Toulouse et Millau pour demander à être prévenus comme les autres, afin que justice soit faite ! De même à Riom et Orléans, les coauteurs demandèrent justice. Renversement des rôles. Il apparaissait que tous les citoyens n’étaient pas égaux devant la loi. Devant les tribunaux correctionnels des mêmes villes, ces coauteurs se présentèrent en « comparution volontaire ». C’est une disposition du droit qui n’est pratiquement jamais appliquée. En règle générale, le procureur de la République a la prérogative de traduire les personnes devant les tribunaux. Les « comparants volontaires », en incitant la justice à les poursuivre, renversent encore les rôles et introduisent un débat dans les procès. Les reconnaître, c’est approuver le caractère collectif de la lutte. Deux tribunaux, celui de Toulouse et Riom, acceptèrent « les comparants volontaires ». Les cours d’appel interpellées par les procureurs s’empressèrent de casser ces décisions. Il reste que ces dernières sont le début d’une jurisprudence qui, comme l’objection de conscience, pourrait déboucher un jour sur une disposition légale qui intéresserait toutes les luttes sociales.
L’action des faucheurs a également montré que la législation française n’est pas en règle avec les directives européennes concernant les essais en plein champ. Pour dépasser ce problème, le gouvernement a mis en place une mission parlementaire confiée au député socialiste Le Déaut dans le but d’évaluer l’intérêt des cultures OGM (organisme génétiquement modifié). Cette dernière conclut qu’il faut rechercher la coexistence des deux formes d’agriculture, OGM et non-OGM. Comme l’une sera victime de l’autre, le résultat est assuré d’avance !
En 2005, la campagne des faucheurs a continué avec notamment un second grand rassemblement près de Menville suivi de nombreux fauchages. Les faucheurs auront besoin de la solidarité nationale pour tenir. Ils ne sont pas inquiets car la population reste majoritairement opposée aux OGM dans les assiettes. Le gouvernement, lui, reste sourd à toutes les initiatives de la société civile.
Alors finalement, pourquoi la désobéissance civique ? Pour répondre à la nécessité et prendre le relais d’un gouvernement phagocyté par la toute puissance du marché et de ce fait, rendu impuissant. Le colonialisme technologique est une réalité aux multiples facettes. C’est un totalitarisme en formation. Il importe de réagir avant qu’il ne nous submerge tous. « Renoncer à la désobéissance civique, comme dit Gandhi, ce serait mettre la conscience en prison. »
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